Autor: administrador

Je puis, donc je suis ; je me révolte, donc nous sommes. Deux citations, de Simone Weil et d’Albert Camus respectivement, unies en une seule phrase, révèlent le sens de ces visages sans nom de la dignité humaine. Les treize premiers portraits de cette série en cours sont apparus à la fin de l’exposition Personnages hors Champ, comme conclusion inachevée et ouverte à un nouveau commencement. Ma peinture continue d’avancer en reprenant des travaux précédents. En ce cas précis, à partir de Hannah Arendt et de son concept singulier de paria conscient, ma peinture ose revenir, comme une citation ou une note marginale, sur le sens des célèbres 48 Portraits du peintre allemand Gerhard Richter, également étudiés par le passé. Cette citation cherche à tirer l’œuvre de sa léthargie idéologique et historique et à combler certaines absences avec une approche critique, ainsi qu’à montrer cet autre savoir, écarté parce que dérangeant, qui n’a malheureusement pas laissé de traces dans les encyclopédies mais qui existe pourtant.

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Le rouge, emblème de la pensée incarnée, est la brèche qui ouvre le regard vers l’inaperçu et le hors champ. La rencontre avec Simone Weil partage l’essence des expositions précédentes, dans lesquelles Hannah Arendt et María Zambrano donnaient du verbe aux tableaux. Ce mélange polyphonique met les trois philosophes en syntonie avec la peintre ainsi qu’avec la peinture. Elles se matérialisent de façon décalée, en même temps que d’autres déplacements, là où le but est l’engagement en faveur d’un monde en commun.

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Face à la question générale de savoir qui je suis ou qui nous sommes et ce que nous faisons dans ce monde, surgit le besoin inéluctable d’apparaître en tant que peintre dans mes tableaux. Être femme dans le domaine de la création, être écrivaine, philosophe, actrice ou, dans mon cas, être peintre suppose d’interpréter le monde différemment, parce qu’on a eu moins de référents et davantage de difficultés. Le fait de se retrouver dans une position limitrophe suscite des questions, des contenus différents et une autre façon de raconter. Peindre peut être l’expression d’un acte créatif et créateur, une pulsion de vie qui permet d’inventer une issue derrière les décombres, à partir des expériences observées ou subies, enlevées au temps qui court. Cette série d’autoportraits, qui appartient au projet Personnages hors champ, reprend le personnage de la Femme éléphantet utilise l’oreiller, entre autres métaphores, comme ce qui nous pèse et que nous devons lâcher pour nous voir, nous reconnaître et avancer : après les décombres, tout reste à faire. La peintre représente la peinture elle-même, celle qui regarde et qui est regardée en même temps, et elle apparaît devant une toile blanche, au milieu de l’obscurité, avec une combinaison de travail rouge. À partir de la peau de la peinture, la peintre évolue tout au long d’une série de scènes jusqu’à ce qu’elle se transfigure dans la peau de ses vraies protagonistes, encore une série en cours de parias conscients qui incarnent la même question.

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Dans cette exposition, la peinture porte la voix de la philosophe Hannah Arendt, l’un des esprits les plus lucides de notre histoire récente, qui a eu la capacité de comprendre les atrocités de son temps et le courage de les raconter en direct. Son regard critique, activiste et plein d’espoir a pourtant été rejeté car jugé dérangeant au sein d’une société bâtie sur des fondations défaillantes. Son influence sur mon travail apparaît dans la conception de l’acte de peindre comme un exercice de pensée critique et créative, ou encore comme un élément qui s’inscrit dans la nécessité utopique d’expliquer l’inexplicable et de prendre le risque de repenser le monde en conflit à partir de son idée d’amor mundi.